Gauthier, ou l’épopée d’un constructeur français

 

 

A la fin des années soixante, Ie jeune Jean-Claude Gauthier s'exprime en rallyes routiers. Même si la production motocycliste de I’époque ne Ie satisfait pas totalement (les échappements traînent par terre et les cadres saucissonnent a qui mieux-mieux), il faut, et il doit faire avec.
Mais, en novembre 1970, Ie destin pointe son index maculé de Finamix sur cet humble mortel dont la vie va soudain, du coup, prendre un autre tour...
Venu faire quelques emplettes au salon de Milan, il découvre avec surprise Ie tout nouveau moteur Sachs 125 trônant sur un stand.
C’est positivement le coup de foudre. Gauthier tombe à genoux, touché par la grâce de cette sculpture moderne dont il pressent, avec raison, les grandes qualités et, sitôt revenu en France, fait l’acquisition d’un moteur chez l’importateur. Une fourche italienne, une scie a métaux, un étau et un chalumeau, l’ancien élève du Garac entreprend derechef la fabrication d’une 125 qu’il destinera a son usage personnel et exclusif.
II ne sait pas encore que vient de débuter une aventure parsemée de moments de gloire et de coups de tabac qui durera dix ans, dix ans au cours desquels mille motos, oui, mille, sortiront des humbles ateliers Gauthier.
Jean-Claude Gauthier ne sait pas non plus qu’il va ajouter son nom a la liste des constructeurs français de moto. Son proto, conçu suivant des critères que l’on pourrait penser inspirés de la berlinette Alpine: simplicité (et même rusticité), légèreté, tenue de route sans faille et freinage puissant, passe allègrement son examen de passage a l’issue d’un test « marche ou crève » mis sur pied avec un copain propriétaire de CB 750: les cols des Alpes avec retour par la route Napoléon dans la journée, a soixante de moyenne sans décompter les arrêts, soit mille bornes au compteur! A l’arrivée, Jean-Claude est plus usé que sa moto... Déclaré bon pour le service, le proto remporte quelques temps plus tard le rallye du Beaujolais 71 aux mains de son constructeur, une victoire qui en précédera d’autres. La Gauthier devient la référence de la catégorie, remportant la Coupe des Quatre saisons en 73 et 74, les quatre premières places du Tour de France Moto en 74, et bien d’autres.
En garçon réaliste ne se berçant pas d’illusions quant à ses dons de pilotes, Gauthier réalise que sa victoire prouve avant tout que le potentiel de sa moto est plus qu’intéressant. Nombre de quidams, aussi surpris que lui des prestations du proto, l’encouragent vivement, devant un pot de Beaujolais, à entreprendre une petite série. Ce qui aurait pu rester au stade d’un débat de troquet prendra réellement forme peu de temps après, Gauthier étant l’homme des décisions rapides. Les premiers modèles baptisés GA1 (GA pour Grand Angle) sortent au forceps et dans des conditions épouvantables de l’atelier Gauthier, un vague garage exigu loué pour abriter les gabarits de montage et l’outillage.
A un certain moment, Gauthier accuse des retards de production de l’ordre de cinquante bécanes... Les clients, presque aussi passionnés que lui poireautent patiemment en attendant la naissance prochaine de leur bécane, mais la situation devient rapidement intenable et il décide de construire un nouvel atelier, de ses propres mains (because finances) au fond du terrain de la maison familiale, ce qui a pour effet d’allonger encore les délais de production. Quand on grimpe des murs de parpaings, on ne construit pas de motos, c’est tristement logique!
De 1972 à 1981, plusieurs générations de sportives made in Beaujolais passent la porte de l’atelier Gauthier qui produira dans ce laps de temps environ mille motos : GA1 à moteur six vitesses, GA2 125 et 250 sept vitesses, Enduro (Chamois).
1976 voit l’arrivée du nouveau Sachs sept vitesses. La perfectible boîte à verrouillage interne du six vitesse à fait place à une boîte à crabots plus précise, mais ce bloc ne comble pas les vœux des artisans (il provoquera même la perte de nombre d’assembleurs italiens) dont Gauthier qui entre en contact avec Rotax, espérant pouvoir disposer du fantastique 125 à distributeur rotatif et graissage séparé proposé par la firme autrichienne. Hélas, Rotax réserve son moteur en exclusivité à Can-Am, un constructeur canadien de motos d’Enduro, et Gauthier doit continuer bon gré mal gré d’utiliser le sept vitesses dont la caractéristique la plus notable et la moins appréciable est de vibrer atrocement (surtout le deux et demi), pour le plus grand bonheur des partie-cycles et des supports moteur. En 1980, le catalogue Gauthier dévoile une superbe 125 GA3 à moteur Hiro, une bombe destinée aux Promosport et développant plus de trente chevaux. Hélas, cette machine demeurera au stade de prototype et marquera la fin de la saga des Motos Gauthier. « A cent trente, quand on passait la six, on prenait encore un rude coup de pied au cul. Parfois, elle me faisait positivement peur tant elle poussait », dira Jean-Claude Gauthier de cet engin fantastique dont un exemplaire unique verra le jour.
Aujourd’hui, le deux roues sportif n’est plus qu’un lointain souvenir dans le paysage professionnel de Jean-Claude Gauthier, mais les activités de GMC (Gauthier Métal et Composites) laissent toujours une certaine part à la recherche et à l’innovation même si la production titille moins l’imagination : cycles épandeurs de désherbant pour rendre aux rues des villes leur virginité, coffres pour les livreurs de pizza à domicile, panneaux récupérateurs tournants pour la viticulture, protections de pots de Cross et d’Enduro en polyester et autres spécialités dont il étudie la conception avec le demandeur, ne négligeant jamais d’apporter sa touche personnelle, son savoir-faire et son génie mécanique.
Finalement, Jean-Claude Gauthier n’a pas oublié ses premières amours, la moto et la course. Mais comment pourrait-il en être autrement, avec ses deux fils pilotes ?



Patrick Tran Duc